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Montre de poche à remontoir « Brevet Lehmann »

Jean-Adrien Philippe déposa le Brevet n°1317 en 1845 concernant un mécanisme de remontage sans clé. M. Philippe est par la suite devenu un des deux piliers de la firme Patek-Philippe. D’autres inventeurs contemporains, moins pertinents ou moins chanceux ont sombré dans l’oubli. L’un d’entre eux, Charles Lehmann, a aussi breveté un système de remontage et mise à l’heure sans clé dans les années 1860, et a produit des montres entre 1860 et 1890 environ.

La société de Charles Lehmann

Il semble que le système Lehmann ait été breveté au moins en France et aux États-Unis. Le brevet américain comprend un schéma détaillé de ce système complexe. Dans sa version la plus récente il permet la mise à l’heure et le remontage avec seulement la couronne comme toute montre moderne, quand des montres plus modestes de l’époque avaient le système ancien à clé ou un système plus élaboré de « poussette » : la couronne permet le remontage, en appuyant simultanément sur un poussoir elle permet aussi la mise à l’heure.

Les schémas du brevet américain

Le système est localisé sous le cadran:

Sous le cadran

L’ensemble tige de couronne et pignons est à lui seul complexe; tout ce système devait avoir un coût de production non négligeable.

Vue rapprochée de la minuterie et du rochet

La principale différence avec le système classique est le couple roue et vis sans fin:

Roue et vis sans fin

Cette montre a eu une longue vie: de nombreuses marques de service sont présentes, les ciselures de la boite en argent sont très usées par le frottement. Quelqu’un de peu talentueux ayant introduit ses pattes à l’intérieur, il y a des problèmes cachés: vis de pont à remplacer notamment, car les filetages en platine ont été forcés. La croix de Malte du barillet a été simplement arrachée, le couvercle devra être aplani pour ne pas frotter sur le pont! Mais le plus grave se cache dans le système de mise à l’heure: le petit pignon au bout de la tige n’est pas maintenu en place car les filetages de sa vis sont détruits. Il y a donc eu beaucoup d’usure sur les dents des différentes roues. Tout fonctionne, mais de justesse…

Filetages détruits

Il faut donc retarauder la tige, et aléser le pignon à un diamètre supérieur pour qu’une vis légèrement plus grosse puisse passer à travers. Comme il est trempé, il faut le recuire, le percer puis le retremper…

Alésage du pignon

Enfin, une vis est usinée sur mesure:

Remontage avec une vis sur mesure

Le numéro de brevet est reporté sur la platine:

Le numéro de brevet est mentionné sur la platine (la croix de Malte a été arrachée)

Plus de 130 ans d’âge!

Le mouvement au complet

Cadran et aiguilles ont été remplacés, mais le boitier en argent porte toujours la marque « Lehmann breveté SGDG ».

Une montre d’aspect classique qui cache bien son originalité

Sources:
watch-wiki.org
Watchuseek forum

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Lemania « Majetek Vojenske Spravy »

Lemania était une manufacture suisse, bien connue des collectionneurs pour ses montres militaires. Elle a en effet fourni des chronographes à la RAF britannique, à l’armée suédoise, … Ses ébauches ont aussi servi de base à d’autres fabricants, comme Omega qui a basé sa Speedmaster « Moonwatch » sur une ébauche Lemania. Plus récemment, le chronographe Lemania 5100 a été monté dans de nombreuses montres tant civiles que militaires, et a été utilisé par les pilotes d’hélicoptères de la Bundeswehr.

Une Lemania « Majetek Vojenske Spravy », montre suisse construite spécialement pour l’armée tchèque (années 1950)

« Majetek Vojenske Spravy » signifie « propriété de l’administration militaire »: la mention occupe tout le fond de la boite, accompagnée d’un numéro unique d’inventaire, usuellement 3 ou 4 chiffres. Cette montre n’a jamais été disponible dans le marché public civil, il n’y a pas de nom de modèle particulier, les collectionneurs ont donc pris l’habitude de l’appeler la « Lemania Majetek ».

Les marquages du fond de boite

Durant l’entre deux guerres, l’administration militaire tchèque a commencé par utiliser des Longines, non antichoc avec petite seconde, leur design étant déjà ancien. Après guerre, des montres plus modernes font leur apparition: la Lemania, une Eterna de forme équivalente, et même des montres soviétiques (Pobeda, chronographes Strela 3017), toutes portent des marques d’identification militaire. Eterna se consacrant à l’époque peut-être moins que Lemania à la production de montres militaires exotiques, son modèle pouvait se trouver sur le marché civil, sans les marques militaires. La Lemania est motorisée par le calibre 3050, un mouvement à seconde centrale indirecte, remontage manuel, sans fioriture mais bien exécuté. Deux détails le distinguent de l’ordinaire à mes yeux, le ressort de friction de la seconde porte un rubis, et la roue de couronne a une double denture, à l’ancienne.

La roue de couronne

La boite a une forme peu commune et sa taille est remarquable: fine (9mm) et large (38mm hors couronne); anguleuse, elle contraste avec la production horlogère des années 50.

Polissage léger de la boite, à la main pour conserver les angles vifs

L’esthétique « vintage » est à la mode, Eterna glisse sur cette vague comme les autres marques et a donc ressorti des cartons la forme de l’Eterna « Majetek », la concurrente de la Lemania à l’époque. Munie d’un mouvement moderne, elle est devenue automatique et porte un guichet de date.

La réédition de l’Eterna

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Rolex 6084

Cette Rolex de 1953, un héritage familial, a été apportée à l’atelier pour une remise en état… C’est une référence 6084 avec un calibre 645 chronomètre automatique, appelée « Bubbleback » ou « Semi-bubbleback » par les collectionneurs de la marque (à cause de la forme galbée du fond). Le cadran a sans doute été refait il y a longtemps, la peinture et le vernis sont déjà patinés. Il ne porte pas la mention « Chronometer Officially Certified », la couronne n’est pas une « Super Oyster » mais il y a 5 marques de service gravées dans le fond, tout a pu arriver depuis 1953.

Le calibre Rolex 645 est entièrement décoré; le balancier est spécifique (et breveté)

Le dernier nettoyage doit dater car même après les cycles habituels à la machine, il reste beaucoup d’huile résinifiée dans les contre pivot et chaton de la roue d’échappement. Peu surprenant que la montre ne fonctionne plus. De tels chatons sont rares dans les montres modernes:

Un chaton retenu par deux vis au niveau de la roue d’échappement

La disposition du Rolex 645 est usuelle pour l’époque, avec une seconde indirecte. Le ressort de friction est comme d’habitude délicat à mettre en place.

Le calibre de base, sans le module automatique

Côté cadran, on peut admirer le frein de tirette, joliment anglé et très fin. L’antichoc et différent de l’autre côté: on a une plaquette vissée et côté pont un ressort à tourner, ressemblant au Kif.

Coté cadran, noter le frein de tirette extrêmement fin

Le module de remontage automatique est unidirectionnel avec rotor, cela permet une rotation de 360° de la masse oscillante; fonctionnalité moderne, alors que la plupart des mouvements contemporains utilisent un mécanisme « à marteau », à rotation partielle, moins efficace en terme de remontage. Le montage est modulaire, sans modification du calibre de base autre que l’ajout de pièces au niveau du rochet de barillet. Il a même son comptage de rubis (2) inscrit de manière indépendante sur son couvercle.

L’intérieur du module automatique

Le couplage entre module et mouvement est réalisé de manière intéressante, avec un ressort en acier bleu en forme d’étoile et deux dentures Breguet sur le rochet de barillet et la dernière roue du module. Le couplage entre le rotor et le module obéit au même principe.

Le couplage se fait avec des ressorts et des dentures Breguet

La vis du rotor est elle-même retenue par deux vis; celle de droite, manquante, a du être refaite

Sur la table d’opération

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Tudor 7965

Publicité des années 50 pour la série Oyster Prince

La marque Tudor fut créée comme une entrée de gamme pour la marque Rolex, pensée comme plus exclusive. D’après Hans Wilsdorf, fondateur de Rolex SA : « Depuis plusieurs années, j’ai étudié la possibilité de fabriquer une montre que nos concessionnaires puissent vendre à un prix plus bas que nos montres Rolex et qui soit digne de la même confiance traditionnelle. Je décidai donc de fonder une société à part, en vue de fabriquer et de vendre cette nouvelle montre.» A partir des années 50, Rolex SA sous-traite la fabrication des mouvements Tudor chez ETA, le grand fabricant suisse d’ébauches, et les vend sous la marque Tudor dans des boites Rolex « Oyster » avec des bracelets siglés Rolex.

Le cadran rappelle que la montre est automatique

Les montres sont des objets soigneusement vendus et « marketés »; les marques les plus prestigieuses ont construit leur mythologie pendant des décennies, en employant des mot-clés bien choisis, qui ont fini par faire partie intégrante de notre monde, comme le Coca-Cola ou les jeans Levi’s. Dans le cas de Rolex, il y en a peu mais ils ne sont pas totalement interchangeables entre Rolex et Tudor comme par exemple:

  • « Oyster »: Boite étanche brevetée, avec couronne et fond vissés
  • « Perpetual » (Rolex), « Self-winding » (Tudor): mouvement automatique
  • La segmentation du marché fait donc que l’on trouve des Rolex « Oyster Royal » et des Tudor « Oyster-Prince »…

    Pourquoi 7965? C’est le numéro de référence de la boite, gravé en général entre les cornes; Rolex SA ayant produit de nombreuses références, il est nécessaire pour identifier précisément la montre.

    Lunette, plexi, boite et fond avant nettoyage

    Les Tudor des années 50 et 60 montrent clairement leur filiation : le logo Rolex est présent sur la couronne et la boite. La date de production est gravée dans le fond sur certains modèles (ici, IV 59).

    Le fond mentionne fièrement la parenté de cette montre

    A l’intérieur, le mouvement ETA est joliment décoré. Dans cette montre, on trouve un ETA 2461, un « tracteur » fiable et robuste, précis quand il est bien réglé. Il a probablement été remplacé à un moment de la vie de la montre : le mouvement d’origine avait a priori un balancier à vis (et non annulaire, plus moderne) et un plaquage blanc (et non doré).

    ETA 2461, côté cadran

    Un ancêtre du très commun ETA2824-2

    Le rotor est marqué en gothique « Tudor Auto-Prince »

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    Longines 19.4

    Sur cette Longines en or, un problème inhabituel est apparu: le pivot de la roue de minuterie s’est cassé net. Le voici en image, après son remplacement :

    Le problème

    Le tour 8mm Lorch fut très précieux: il permet à l’aide de fraises à pivot de tourner rapidement de petits diamètres. En l’occurence, 0.52mm (diamètre en platine) et 0.35mm (pivot de la roue) sont nécessaires.

    Le Lorch en action

    La solution

    La pièce a été finie à la main avec une lime à pivot et un brunissoir pour obtenir les diamètres et longueur exacts. Enfin, elle est chassée à la bonne profondeur dans la platine pour que la roue de minuterie soit libre, sans toucher ni la platine ni la roue de canon qui est au dessus. La tolérance n’est guère supérieure à l’unité de base horlogère, un centième (de mm). On pourrait penser que le pire est passé, pas tout à fait, le spiral est abimé. Un « horloger » l’a grossièrement plié en essayant de réparer la montre.

    Le spiral, plié

    Plié, et nettement: il n’est plus plat et frotte contre les bras du balancier. La courbe terminale est aussi complètement déformée. A petites touches, avec une paire de brucelles n°5 à spiraux Dumont, on le rétablit dans sa géométrie et à partir de là, l’affaire est gagnée… le reste n’est que routine.

    Longines 19.4, avant remontage

    Sauf que les ingénieurs de Longines ont préparé une surprise amusante (!) : les contre-pivots des antichocs Incabloc sont transparents. Donc très faciles à perdre de vue.

    Des contre-pivots blancs

    Finalement, elle fonctionne, on est donc content de la voir tourner rond, et encore plus content de la voir s’éloigner de l’atelier. Elle rappelle un peu trop quelques sueurs froides.

    Longines 19.4, en fonctionnement

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